Mois : octobre 2023
PDF

Dans cette contribution, nous abordons l’étendue de la protection du droit des marques et des noms commerciaux dans le contexte d’un arrêt[1] de la Cour d’appel d’Anvers. Une entreprise qui dépose une marque à caractère descriptif afin de s’approprier un terme générique court un grand risque se faire avoir.

Droit des marques

Le droit des marques peut être défini comme un droit de monopole temporaire du propriétaire d’une marque, non seulement pour l’utilisation exclusive de cette marque, mais également pour interdire[2] à d’autres de l’utiliser. Une marque est un signe qui peut prendre différentes formes telles que des mots, des slogans, des images, etc[3] que les entreprises utilisent pour se positionner sur le marché. Une enseigne permet aux consommateurs de distinguer les produits et services de différentes entreprises.

La simple utilisation d’une marque ne confère aucune protection à une entreprise. Ce n’est que lorsqu’une marque est enregistrée avec succès auprès de l’autorité compétente que le propriétaire d’une marque est en mesure de revendiquer tous les droits associés.[4]

En ce qui concerne les droits attachés à une marque, il faut se référer à l’article 2.20 de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (ci-après : CBPI).

Article 2.20 CBPI – Droits attachés à la marque

« 1. L’enregistrement d’une marque visé à l’article 2.2 confère à son titulaire un droit exclusif sur celle-ci.

2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité de la marque enregistrée, et sans préjudice de l’application éventuelle du droit commun en matière de responsabilité civile, le titulaire de ladite marque enregistrée est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage d’un signe lorsque :

 a. le signe est identique à la marque et est utilisé dans la vie des affaires pour des produits ou services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée« .

Afin d’établir une infraction à l’article 2.20(a) du CBPI, la preuve de la double identité doit être apportée. (1) Le signe contesté doit être identique à la marque invoquée par le titulaire, et (2) l’identité entre les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée doit être identique.

La Cour de justice souligne que, dans ce cas, il est permis aux juridictions de faire abstraction des différences si insignifiantes qui échappent à l’attention du consommateur moyen.[5]  Le signe « poetsbureau » étant clairement différent de la marque verbale « HET POETSBUREAU », la Cour d’appel a décidé qu’il n’y avait pas de violation de l’article 2.20.a) du CBPI.

S’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public entre le signe contesté et la marque pour des produits ou services identiques, le titulaire de la marque a la possibilité de faire valoir son droit de marque devant le tribunal sur la base de l’article 2.20 (b) du CBPI.

Article 2.20 CBPI – Droits attachés à la marque

« (…)

b. le signe est identique ou similaire à la marque et est utilisé dans la vie des affaires, pour des produits ou des services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, s’il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque « 

Selon le jugement, il n’y avait pas de risque de confusion puisque l’usage ordinaire du terme « poetsbureau » et la marque figurative « HET POETSBUREAU » – accompagnée d’une image – sont complètement différents et ne risquent donc pas de créer une confusion chez le consommateur. En outre, il n’y a pas de risque de confusion entre le terme « poetsbureau » et la marque verbale « HET POETSBUREAU » car le terme « poetsbureau » est un terme communément utilisé dans le langage des prestataires de services domestiques. Les deux parties sont actives dans le domaine de l’aide domestique et le terme « poetsbureau » est donc purement descriptif.[6]

Le nom commercial

Une marque ne doit pas être confondue avec un nom commercial.  Le nom commercial est un nom qu’une entreprise utilise dans le processus économique.  Il s’agit du nom sous lequel l’entreprise exerce ses activités. L’enregistrement d’un nom commercial auprès de la Banque-Carrefour des Entreprises n’est pas suffisant pour la protection du nom commercial. Le droit d’utiliser un nom commercial naît dès que ce nom est effectivement utilisé dans le commerce et se fonde sur l’article 8 de la Convention de Paris.[7]

Le nom commercial n’offre une protection contre l’utilisation d’un nom commercial plus récent identique ou similaire que s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du grand public dans la zone géographique où le nom commercial plus ancien est utilisé.

La Cour a jugé que le nom commercial « HET POETSBUREAU » est banal et n’induit pas en erreur le consommateur moyen. En outre, le nom commercial du concurrent en question est « Easylife » et n’est donc pas du tout identique au nom commercial « HET POETSBUREAU ». Le concurrent utilise uniquement le signe (générique) « poetsbureau » sur son site web et dans ses messages publicitaires. Le titulaire du nom commercial « HET POETSBUREAU » n’est pas autorisé à s’approprier à titre privé le terme « poetsbureau » en ajoutant l’article « Le »,ce qui signifie qu’il n’y a pas d’atteinte au nom commercial.[8]

Conclusion

L’arrêt de la Cour d’appel d’Anvers est un arrêt logique qui s’inscrit pleinement dans les principes fondamentaux du droit des marques selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Une leçon importante[9] à tirer de cet arrêt est le danger qui se cache derrière un enregistrement de marque à caractère descriptif. L’appropriation privée d’un terme générique comporte les risques et le danger que la protection de votre marque enregistrée devienne une coquille vide. Il faut donc toujours demander de l’aide à des spécialistes.

Si vous souhaitez enregistrer une marque, vous pouvez toujours faire appel à nos services. Nos avocats spécialisés vous assisteront tout au long du processus de protection des marques. Vous pourrez remplir le formulaire de contact sur notre site web « Studio|Trademark » via l’application « soumettre une demande », après quoi nous nous mettrons immédiatement au travail.

Si vous avez des questions après avoir lu cet article, n’hésitez pas à nous contacter via l’adresse email [email protected] ou par téléphone au 03 216 70 70.

Sources légales :

Arrêt de la Cour d’appel d’Anvers, n° 2019/AR/1757, 25 novembre 2020.

https://www.boip.int/system/files/document/2019-02/Benelux%20Verdrag%20inzake%20de%20Intellectuele%20Eigendom_01032019.pdf

CoJ 20 mars 2003, C-291/00, LTJ Diffusion, §53-54 ; CoJ 8 juillet 2010, C-558/08, Portakabin, §48.

https://economie.fgov.be/nl/themas/intellectuele-eigendom/intellectuele-eigendomsrechten/specifieke-beschermingsregimes/handelsnaam-en

[1] Arrêt de la Cour d’appel d’Anvers, n° 2019/AR/1757, 25 novembre 2020

[2] Voir l’article 2.20 du Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (CBPI)

[3] Voir l’article 2.1 CBPI

[4] Voir l’article 2.2 CBPI

[5] CJCE 20 mai 2003, C-291/00, LTJ Diffusion, §53-54 ; CJCE 8 juillet 2010, C-558/08, Portakabin, §48.

[6] Arrêt de la Cour d’appel d’Anvers, n° 2019/AR/1757, 25 novembre 2020

[7]https://economie.fgov.be/nl/themas/intellectuele-eigendom/intellectuele-eigendomsrechten/specifieke-beschermingsregimes/handelsnaam-en

[8] Arrêt de la Cour d’appel d’Anvers, n° 2019/AR/1757, 25 novembre 2020

[9] Anvers n° 2019/AR/1757, 25 novembre 2020, IRDI 2020, numéro 4, 326 ; NJW 2021, numéro 450, 773, note GEIREGAT, S.

PDF

Un contrat qui ne remplit pas certaines conditions de validité est nul ou, comme nous le verrons plus loin, annulable. Jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau droit des obligations (c’est-à-dire le 1er janvier 2023), il existait deux modes de nullités : amiable et judiciaire. Le nouveau droit des obligations a introduit une troisième possibilité : la nullité par déclaration d’une partie.

Validité et nullité d’un contrat

Il existe 4 conditions de validité pour un contrat (art. 5.27, paragraphe 1er du Code civil) :

  • Le consentement libre et éclairé de chaque partie ;
  • La capacité de chaque partie de contracter ;
  • Un objet déterminable et licite;
  • Une cause licite.

Un contrat qui ne remplit pas ces conditions de validité est nul, ou plutôt annulable (art. 5.57 paragraphe 1er du Code civil). En effet, la nullité ne produit jamais ses effets de plein droit, de sorte que le contrat continuera à produire ses effets jusqu’à ce que le contrat soit effectivement déclaré nul (art. 5.59, alinéa 1er du Code civil).[1]

Jusqu’à récemment, l’annulation pouvait se faire de deux manières. D’une part, un contrat pouvait être déclaré nul à l’amiable, c’est-à-dire d’un commun accord entre les parties. D’autre part, un contrat pouvait être déclaré nul judiciairement, c’est-à-dire après qu’un juge ait reconnu la cause de nullité (art. 5.59, deuxième alinéa du Code civil).

Nouveauté: la nullité par déclaration d’une partie

Le nouveau droit des obligations (en vigueur depuis le 1er janvier 2023) ajoute une troisième voie, à savoir la nullité extrajudiciaire sur déclaration ou notification d’une partie. Ici, un contrat peut devenir nul par la simple déclaration ou notification d’une partie.

En effet, il semble déraisonnable d’imposer à une partie à un contrat affecté par une cause de nullité d’attendre l’issue d’une procédure judiciaire avant de pouvoir se délier du contrat.[2]

La déclaration des parties nécessite une notification écrite à toutes les parties contractantes (art. 5.59, troisième alinéa du Code civil). Cette notification n’a d’effet que jusqu’à 5 ans après la connaissance de la cause de nullité ou, au plus tard jusqu’à 20 ans après la conclusion du contrat. Passé ce délai, la nullité par notification est prescrite (art. 5.60 du Code civil).

Le risque d’une telle nullité par déclaration de parties incombe toujours à la parti qui fait cette déclaration. En effet, le juge peut toujours être saisi à postériori pour vérifier s’il y avait effectivement une cause de nullité et si la notification de la nullité au contractant était régulière.

Si le juge décide que le contrat a bien été valablement conclu, il peut déclarer la notification de cette déclaration « sans effet ».  Cela a pour conséquence que le contrat n’a pas été résilié au moment de la déclaration de la partie. Si la partie qui a fait la déclaration de nullité a cessé d’exécuter ses obligations contractuelles, cette inexécution pourrait justifier la résiliation du contrat a ses torts[3].

La nullité sur déclaration des parties est exclue pour les contrats établis par un acte authentique tel qu’un acte notarié ou un jugement d’homologation (art. 5.59, troisième alinéa du Code civil). Toutefois, une annulation amiable ou judiciaire reste possible.

Conséquence : nullité rétroactive et proportionnelle

La déclaration de nullité prive rétroactivement (c’est-à-dire à partir du jour de la conclusion du contrat) le contrat de tous ses effets. Les prestations déjà effectuées en vertu du contrat annulé donnent lieu à restitution, sous réserve du respect des conditions légales (art. 5.62 du Code civil).

Toutefois, si la cause de nullité ne porte que sur une partie divisible du contrat, l’annulations sera limitée à cette partie. Il faut toutefois que la partie restante du contrat puisse demeurer intacte et qu’elle corresponde toujours à l’intention des parties (art. 5.63 premier alinéa du Code civil).[4]

Enfin, il convient de souligner que l’article 5.59 alinéa 3 du nouveau Code civil constitue une loi complémentaire Cela signifie que les parties peuvent moduler la possibilité de nullité sur déclaration de la partie au contrat (par exemple, prescrire une période spécifique) ou l’exclure complètement.[5]

Avez-vous des questions après avoir lu cet article ou souhaitez-vous obtenir plus d’informations à ce sujet ? N’hésitez pas à contacter l’équipe de Studio Legale au 03/216.70.70 ou à l’adresse [email protected].

 

 

[1] F. PEERAER et S. STIJNS, “De proportionaliteit van de nietigheid: de onwerkzaamheid of een nieuwe adem voor de onbestaanbaarheid?”, TBBR 2017/7, (374) 375.

[2] Exposé des motifs de la Proposition de loi du 24 février 2021 portant le Livre 5 « les obligations » du Code civil, Ch. Repr., nr. 55, 1806/001, p. 68; A. DE BOECK, “Het nieuwe verbintenissenrecht”, NjW nr. 467, 5 octobre 2022, (610) 617.

[3] Exposé des motifs de la Proposition de loi du 24 février 2021 portant le Livre 5 « les obligations » du Code civil, Ch. Repr., nr. 55, 1806/001, p. 69 ; S. STIJNS et S. DE REY, “Het nieuwe verbintenissenrecht in Boek 5 BW – Deel I”, RW 2022-23, nr. 24, (923) 939.

[4] A. DE BOECK, “Het nieuwe verbintenissenrecht”, NjW nr. 467, 5 octobre 2022, (610) 616; S. STIJNS et S. DE REY, “Het nieuwe verbintenissenrecht in Boek 5 BW – Deel I”, RW 2022-23, nr. 24, (923) 938.

[5] S. STIJNS et S. DE REY, “Het nieuwe verbintenissenrecht in Boek 5 BW – Deel I”, RW 2022-23, nr. 24, (923) 939.

PDF

Le Code de droit économique (CDE) a récemment été complété par un 19e livre : le livre XIX  » Dettes du consommateur « . Ce livre a été introduit par la loi du 4 mai 2023[1] , qui a été publiée au Moniteur belge le 23 mai 2023.

  1. Contexte

Jusqu’à récemment, la manière dont les entreprises pouvaient recouvrer leurs factures impayées auprès des consommateurs était régie par une loi du 20 décembre 2002[2]. Cette loi prévoyait une liberté contractuelle relativement importante.

Les entreprises déterminaient elles-mêmes le délai dans lequel le consommateur devait payer la facture, les frais de recouvrement appliqués en cas de non-paiement et la date à partir de laquelle ces frais commençaient à courir. Les consommateurs, quant à eux, acceptaient les clauses du contrat et étaient protégés par la législation sur la protection des consommateurs.

Au fil des années, plusieurs propositions législatives ont été adoptées afin de rendre la loi du 20 décembre 2002 plus favorable aux consommateurs. À chaque fois, l’objectif des initiatives législatives a toujours été le même : protéger les consommateurs vulnérables contre l’accumulation de dettes en cas de non-paiement en limitant le calcul des intérêts, les clauses pénales, les frais de recouvrement, etc.

Malgré les critiques formulées à l’encontre des projets de loi par les entreprises, le Conseil d’État ou l’Ordre des barreaux flamands, etc., la nouvelle loi sur le recouvrement des créances pour les consommateurs, qui aura sans aucun doute des conséquences considérables, a vu le jour le 4 mai 2023.

  1. Situation

La nouvelle loi se trouve dans le livre XIX du CDE et se compose de deux parties :

  • D’une part, la loi contient des règles sur ce qui peut et doit se passer en cas de retard de paiement d’un consommateur (titre 1)
  • D’autre part, la loi contient des règles sur (l’activité de) recouvrement amiable des dettes d’un consommateur (titre 2)

En outre, il existe également une législation concernant le recouvrement des créances auprès des consommateurs :

  • le livre 5 du nouveau code civil (ci-après « NCC ») : vous y trouverez des règles générales en matière de mise en demeure, de clause pénale et intérêts, ainsi qu’une interdiction générale des clauses abusives ;
  • le livre VI du CDE, qui contient une législation spécifique sur les clauses abusives dans les relations B2C.

La nouvelle loi s’applique en tant que loi générale et n’affecte pas la législation spéciale préexistante. Toutes les législations seront appliquées de manière cumulative, mais en cas de conflit, la législation spéciale prévaudra. Les consommateurs ne doivent donc pas se laisser aveugler par les règles de la nouvelle loi, car il est tout à fait possible que des règles différentes s’appliquent à certains secteurs (par exemple, la distribution de l’énergie et de l’eau).

Le livre 5 du NCC contenant également des règles générales en la matière, il reste à voir comment la nouvelle loi et le NCC coexisteront dans la pratique.

  1. Champ d’application

Le vaste champ d’application de la nouvelle loi est l’une des raisons pour lesquelles elle aura un tel impact. En effet, la nouvelle loi s’applique à : « tout retard de paiement d’une dette d’un consommateur à une entreprise« .

  • Champ d’application personnel

La nouvelle loi s’applique entre les entreprises et les consommateurs et donc « B2C »

Un consommateur est ainsi défini comme : « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ».

Une entreprise est : « toute personne physique ou personne morale poursuivant de manière durable un but économique, y compris ses associations », et ce quelle que soit la taille de l’entreprise.

Ainsi, non seulement les entreprises au sens traditionnel du terme sont couvertes par la nouvelle loi, mais aussi, par exemple, les hôpitaux et les professionnels libéraux.

  • Champ d’application matériel

Pratiquement tous les types de dettes d’un consommateur relèveront de la nouvelle loi.

En effet, la nouvelle loi parle de tout retard de paiement, et ne concerne donc pas uniquement les factures impayées. Tant les dettes contractuelles (par exemple l’achat d’une nouvelle cuisine ou d’un nouveau meuble, facture d’un entrepreneur ou d’un jardinier) que les dettes légales ( par exemple les frais de stationnement impayés) devront désormais être recouvrées en tenant compte des règles de la nouvelle loi.

  • Champ d’application temporel

En ce qui concerne le champ d’application temporel, il convient de faire une distinction selon le moment où le contrat à l’origine de la dette a été conclu :

  • Contrat conclu avant le 1er septembre 2023 : la nouvelle loi entre en vigueur le 1er décembre 2023
  • Contrat conclu après le 1er septembre 2023 : la nouvelle loi s’applique immédiatement.
  1. Conséquences en cas de non-paiement par un consommateur
  • Retard de paiement B2C

La nouvelle loi réglemente principalement ce qu’un créancier doit faire lorsqu’un consommateur ne paie pas (à temps).

Si le consommateur n’a pas payé à la date d’échéance convenue, l’entreprise doit d’abord obligatoirement envoyer un rappel de paiement gratuit. Ce rappel peut être envoyé par la poste ou par voie électronique.

Après le premier rappel, le consommateur doit bénéficier d’un nouveau délai de paiement de 14 jours. Ce délai de 14 jours prend court le troisième jour ouvrable suivant l’envoi du rappel, ou le jour suivant l’envoi si le rappel est envoyé par voie électronique.

Le premier rappel doit contenir des informations obligatoires :

  • Le montant restant dû ;
  • La clause indemnitaire qui serait due ;
  • Les coordonnées de l’entreprise ;
  • La description de l’origine et de l’échéance de la dette ;
  • Le délai de paiement.

En fait, il s’agit pour le consommateur de savoir de quelle dette il s’agit afin de pouvoir y répondre de manière adéquate (payer/contester).

Une exception à la gratuité du rappel existe dans le cas d’accords concernant la livraison régulière de biens et de services. Ces créanciers doivent envoyer des rappels gratuits en cas de non-paiement de trois échéances par an. Toutefois, à partir du quatrième retard de paiement dans l’année, l’entreprise peut facturer des frais de rappel. Il a été légalement déterminé que les frais de rappel supplémentaires ne peuvent pas dépasser 7,50 euros plus les frais d’envoi.

La charge de la preuve de l’envoi du rappel gratuit et du respect du délai de 14 jours incombe à l’entreprise. L’entreprise ne doit pas prouver que le rappel a été effectivement reçu, ce qui est le cas pour la facture elle-même, par exemple.

Les clauses contractuelles qui s’écartent des exigences formelles susmentionnées sont interdites et nulles (c’est-à-dire qu’elles sont considérées comme inexistantes).

L’entreprise ne peut appliquer des clauses pénales et des intérêts de retard que dans la mesure où cela est expressément prévu dans les conditions générales (du contrat) et après l’expiration du délai de paiement supplémentaire de 14 jours.

En ce qui concerne ce dernier point, une exception est prévue pour les PME[3] : si l’entreprise est une PME, elle peut stipuler que les intérêts de retard commencent déjà à courir le jour suivant l’envoi du premier rappel de paiement.

En outre, la clause pénale et les intérêts maximaux qu’une entreprise peut facturer sont plafonnés :

  • Intérêts : au maximum le taux d’intérêt au taux directeur[4] de l’article 5 alinéa 2 de la loi du 2 août 2022 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (actuellement 3,75%) majoré de 8% et ce sur la somme restant à payer.
  • Indemnité forfaitaire :
    • 20 euros si le montant restant dû est inférieur ou égal à 150 euros ;
    • 30 euros augmenté de 10 % du montant dû sur la tranche compris entre 150,01 et 500 euros si le montant restant dû est compris entre 150,01 et 500 euros ;
    • 65 euros augmentés de 5 % du montant dû sur la tranche supérieure à 500 euros avec un maximum de 2.000 euros si le montant restant dû est supérieur à 500 euros.

Hormis les intérêts et/ou indemnité forfaitaire et dans les limites susmentionnées, aucun autre frais ne pourra être réclamé au consommateur.

La personne qui recouvre la créance ne peut donc pas facturer au consommateur des frais supplémentaires pour ses activités.

Les clauses prévoyant des montants ne correspondant pas aux limites susmentionnées sont interdites et nulles. Dans un tel cas, aucun indemnité forfaitaire ou intérêt ne pourra être accordé, la clause qui le prévoyait n’existant plus légalement.

Dans ce contexte, il est important de faire référence à l’article XI.83 17° et 24° du CDE[5]. Ces articles stipulent que dans les relations B2C, les clauses d’indemnité forfaitaire qui sont manifestement disproportionnées (lire : proportionnelles au préjudice subi par l’entreprise) et non réciproques (lire : tant pour l’entreprise que pour le consommateur) sont en tout état de cause illégales. Par conséquent, pour que la clause d’indemnité forfaitaire soit valable, il faut tenir compte non seulement des montants maximaux susmentionnés, mais aussi de la proportionnalité et de la réciprocité de la sanction.

Enfin, l’entreprise s’est vue confier une obligation particulières d’informations des consommateurs. À la demande du consommateur, l’entreprise doit immédiatement fournir, sur un support durable (lire : papier/électronique), tous les documents relatifs à la dette impayée, ainsi que les informations de contestation de celle-ci.

  1. Activité de recouvrement amiable de dettes

Deuxièmement, la nouvelle loi réglemente les modalités à respecter lors du recouvrement de la créance par un professionnel pour le compte du créancier.

  • Signification “activité de recouvrement amiable de dettes ”

La notion de « recouvrement amiable de créance »  est défini au sens large dans la CDE comme : « tout acte ou pratique d’une entreprise qui a pour but d’obtenir le paiement d’une dette impayée par le consommateur, à l’exception de tout recouvrement sur la base d’un titre exécutoire »

Cela peut donc aller de l’envoi de lettre de rappels, d’emails ou de SMS, aux appels téléphoniques, aux visites au domicile, à l’envoi de messages via les réseaux sociaux, etc.

Jusqu’à récemment, l’activité de recouvrement amiable était réglementée par la loi du 20 décembre 2002 relatif au recouvrement amiable des dettes du consommateur. Cette réglementation est désormais reprise dans le titre 2 de la nouvelle loi.

Le titre 2 s’applique à toute personne qui recouvre à l’amiable une créance auprès d’un consommateur. Peu importe que le recouvrement soit effectué par un professionnel (société de recouvrement, avocat, huissier de justice,…) ou par le créancier lui-même. Lorsque le recouvrement est effectué par un professionnel, on parle d « activité de recouvrement amiable ».

  • Obligations pour l’activité de recouvrement amiable des dettes

Toutes personne exerçant une activité de recouvrement amiable doit au préalable s’inscrire auprès du SPF Finances et se faire également contrôler par cet organisme. La nouvelle loi prévoit une exception à l’inscription pour les avocats, les officiers ministériels ou les mandataires de justice dans l’exercice de leurs fonctions.

Les conditions d’inscription et les garanties dont doivent disposer les personnes pour être inscrites sont fixées par un arrêté royal du 17 février 2005. La demande d’inscription se fait par voie électronique et doit contenir un certain nombre de documents et d’informations (voir articles 2, 3 et 4 de l’arrêté royal précité). Les personnes acceptées et inscrites par le SPF Economie figureront sur une liste publiée par le SPF Economie sur son site web.

  • Modalités d’exercice de l’activité de recouvrement amiable des dettes

Afin de protéger les consommateurs, la loi du 20 décembre 2002 prévoyait déjà un certain nombre de pratiques interdites lors du recouvrement amiable d’une créance. Il s’agissait généralement de comportements susceptibles de porter atteinte à la vie privée ou à la dignité humaine du consommateur.

Ces pratiques interdites n’ont pas été reprises intégralement dans la nouvelle loi, puisqu’elles figurent déjà à un autre endroit du CDE, à savoir dans le livre VI (art. VI.92 CDE – VI.103 CDE).

Néanmoins, la nouvelle loi reprend certaines pratiques interdites spécifiques, telles que :

  • XIX. 5 CDE : interdiction du recouvrement auprès d’une personne qui n’est pas le débiteur
  • XIX. 10§3 et 11 alinéa 2 du CDE : Aucun appel téléphonique ou visite au domicile entre 22h et 8h.

Par ailleurs, tout recouvrement amiable d’une créance doit toujours commencer par une mise en demeure écrite, qui doit contenir un certain nombre de mentions obligatoires.

Après l’envoi de la mise en demeure, aucune autre action ne peut être entreprise à l’égard du consommateur avant l’expiration d’un délai d’attente de 14 jours calendrier.

Ce délai commence à courir le 3e jour ouvrable après l’envoi de la mise en demeure, ou le lendemain de l’envoi si la mise en demeure est envoyée par voie électronique.

Le recouvrement amiable doit être mis sur pause si le consommateur répond à la mise en demeure de l’une des manières suivantes :

  • Le consommateur demande un plan d’apurement: dans ce cas, aucune autre mesure de recouvrement ne peut être prise tant qu’une décision sur le plan d’apurement n’a pas été prise et cette décision doit être prise au plus tard 30 jours calendriers après la proposition. Ce délai commence à courir le premier jour ouvrable suivant la proposition. Si le délai est dépassé, les intérêts de retard sont suspendus jusqu’à ce qu’une décision soit prise.

 

  • Le consommateur a initié une demande de médiation de dettes ou a introduit une procédure de règlement collectif de dettes : dans ce cas, aucune autre mesure ne peut être entreprise tant qu’une décision n’a pas été prise sur la demande. Si cette décision n’est pas prise dans les 45 jours calendrier suivant la demande, le recouvrement à l’amiable peut reprendre. Dans le cadre d’une médiation de dettes, le délai de 45 jours calendrier commence à courir le premier jour ouvrable suivant l’introduction de la demande. Dans le cas d’un règlement collectif de dettes, le délai commence à courir à partir du jour du dépôt de la requête.

 

  • Le consommateur peut contester la dette de manière motivée : dans ce cas, aucune autre démarche ne peut être entreprise avant qu’une décision sur la contestation n’ait été prise, et cette décision doit être prise au plus tard 30 jours calendrier après la contestation. Ce délai commence à courir le premier jour ouvrable suivant la contestation. Si le délai est dépassé, les intérêts de retard sont suspendus jusqu’à ce qu’une décision soit prise.

Enfin, même dans le cadre de l’activité de recouvrement amiable, l’agent de recouvrement ne peut exiger du consommateur aucun coût supplémentaire à titre de compensation de son intervention. L’agent de recouvrement doit être rémunéré par le créancier.

  • Devoirs du « recouvreur de dettes »

Il est frappant de constater que la nouvelle loi impose un devoir de diligence étendu au recouvreur de dettes. Le recouvreur de dettes est chargé de vérifier que toutes les modalités du recouvrement à l’amiable sont respectées.

Par exemple, le recouvreur de dettes devra d’abord vérifier si le créancier a déjà envoyé un premier rappel de paiement gratuit et si les montants des indemnités forfaitaires réclamés au consommateur dans ce rappel se situent dans les limites maximales autorisées par la loi.

Dans le cas contraire, le recouvreur de dette doit d’abord envoyer un rappel de paiement gratuit contenant les montants corrects et respecter ensuite une période d’attente de 14 jours calendrier. Ce n’est qu’ensuite que la première mise en demeure pourra être envoyée.

Le recouvreur de dettes doit également veiller à ce que la mise en demeure soit rédigée de manière claire et compréhensible et qu’elle contienne toutes les informations obligatoires. La mise en demeure doit au moins fournir des informations sur la manière dont la dette peut être contestée, sur les facilités de paiement qui peuvent être demandées et sur le fait que le consommateur peut demander toutes les pièces justificatives concernant la dette. En outre, des informations générales sur l’origine de la dette, le créancier initial (le cas échéant), les coordonnées du créancier (actuel), etc. doivent également être fournies. En outre, si le recouvreur de dettes est un avocat, un officier ministériel ou un huissier de justice, le texte suivant doit être incluse dans un alinéa séparé et dans un autre type de caractère et en gras :

 

« Cette lettre ne concerne PAS une citation au tribunal ou une saisie. Il ne s’agit pas d’une procédure de recouvrement judiciaire »

 

Le devoir de diligence a une portée très large, d’autant plus que le non-respect est sanctionné pénalement et que la charge de la preuve du respect de ce devoir incombe au recouvreur de dettes.

Outre le devoir de diligence, le recouvreur de dettes a également un devoir d’information active sur l’état de la dette. Par exemple, le consommateur qui rembourse la dette doit recevoir un relevé des montants déjà payés une fois par an. Lorsque le consommateur a remboursé la totalité de la dette, il doit en être informé immédiatement.

  1. Sanctions

Depuis la nouvelle loi, le non-respect des règles ci-dessus imposées en matière de recouvrement amiable peut avoir des conséquences très importantes, maintenant que des sanctions concrètes y sont attachées. Les sanctions peuvent intervenir à différents niveaux.

  • Sanctions civiles [6]

Si, au cours de la procédure de recouvrement amiable, le consommateur a payé des sommes indûment – lire : en violation de la nouvelle loi – il s’agit, d’un point de vue civil, d’un paiement indu obtenu de mauvaise foi. Dans ce cas, le tribunal peut ordonner que la personne qui a reçu ce paiement soit obligée de rembourser ce montant.

En outre, si les obligations relatives au rappel de paiement initial gratuit ne sont pas respectées, le consommateur est dispensé de plein droit du paiement de la clause indemnitaire.

  • Sanctions pénales[7]

En cas de non-respect du premier rappel gratuit, de l’obligation d’information ou du plafond de la clause indemnitaire, une sanction pénale de niveau 2 pourra être prononcée.

Celle-ci comprend :

  • une amende pénale de 26,00 euros à 10.000,00 euros (x 8) ou ;
  • une amende pouvant aller jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires annuel total du dernier exercice clôturé, si cela représente un montant plus élevé en cas d’infraction aux règles générales.

Un manquement au devoir de diligence du recouvreur de dettes, à la mise en demeure obligatoire, au respect des délais par le recouvreur de dettes et à l’obligation d’information du recouvreur de dettes peut entraîner une sanction pénale de niveau 4.

Celle-ci comprend :

  • Une amende pénale de 26,00 EUR à 10 000,00 EUR (x 8) ou ;
  • jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires annuel total réalisé au cours du dernier exercice clôturé, si cela représente un montant plus élevé en cas d’infraction aux règles générales.

Il est clair qu’il sera très important pour un recouvreur de dettes de se conformer aux règles, car l’impact financier d’une amende peut être important. La charge de la preuve du respect des règles incombant au recouvreur de dette, il est également important de documenter correctement chaque démarche entreprise afin de disposer d’un dossier solide et de pouvoir contester l’amende si nécessaire.

  • Surveillance administrative [8]

Il existe également un contrôle administratif du respect de la réglementation en matière de recouvrement amiable, désormais que les agents du SPF Economie sont habilités à détecter et à constater les infractions au livre XIX du CDE.

Les fonctionnaires du SPF Economie vérifieront régulièrement si le recouvreur de dettes respecte toujours les conditions d’inscription qui lui ont été accordées. Dans le cadre de ce contrôle, ils pourront à tout moment demander des informations et des documents supplémentaires au recouvreur de dettes.

  1. Réserves

Les propositions législatives relatives au recouvrement amiable des dettes des consommateurs sont devenues de plus en plus ambitieuses au fil des ans. Finalement, on a abouti à une loi qui ne manquera pas d’avoir un impact considérable sur les relations entre l’entreprise et le consommateur et qui restreint fortement la liberté contractuelle entre ces parties.

Maintenant que des sanctions sont également attachées au respect des obligations imposées et que la charge de la preuve du respect de ces obligations incombe à l’entreprise, le créancier/recouvreur porte une très grande responsabilité dans le cadre du recouvrement à l’amiable. Alors qu’il incombe en réalité au consommateur/débiteur de payer.

La nouvelle loi ne s’applique qu’au recouvrement à l’amiable. Ile st possible que les créanciers franchissent désormais plus rapidement le pas du processus de recouvrement judiciaire et procèdent immédiatement à une citation du  consommateur, ce qui n’est évidemment pas à leur avantage. Par ailleurs, le retard de paiement dans les transactions commerciales (B2B) est réglementé par la loi du 2 août 2002. Par conséquent, le nouveau texte ne s’appliquera pas dans ce cas. Il est à noter que le législateur a récemment imposé des délais de paiement plus courts entre les entreprises afin de réduire les effets néfastes des retards de paiement sur les entreprises.  Dans les travaux parlementaires de la loi modificative on peut lire : « La conséquence de ces retards de paiement est que nos PME, confrontées à un manque de liquidités, retardent elles-mêmes leurs paiements, créant finalement une « chaîne de retards » qui affecte l’ensemble du tissu économique (…) De cette manière, les investissements sont reportés, l’embauche de personnel est retardée, en d’autres termes, la création de valeur ajoutée est reportée« .

Grâce à la nouvelle loi, les consommateurs auront plus de temps pour payer. Cela pourrait avoir pour effet d’hypothéquer la fluidité du processus de paiement pour et par les entreprises.

Le législateur est manifestement confronté à la question de savoir qui bénéficie de la plus grande protection : l’entreprise ou le consommateur. Maintenant que le consommateur est toujours considéré comme une partie économiquement la plus faible et juridiquement moins expérimenté, il semble que ce soit lui qui ait finalement le dessus.

Ensuite, il ne faut pas sous-estimer l’impact de la nouvelle loi sur la trésorerie des entreprises. La nouvelle loi offre aux consommateurs la possibilité de « retarder » le paiement, sans que le recouvreur de dettes ne soit autorisé à prendre aucune mesure, ce qui n’incite guère les consommateurs à payer. Plus une entreprise doit attendre pour être payée, plus elle risque d’avoir des problèmes de liquidités. En conséquence, une entreprise peut être amenée à reporter ses paiements ou ses investissements, ce qui n’est évidemment pas bénéfique pour l’économie et au trafic économique. Bien qu’une petite exception soit prévue pour les PME en ce qui concerne le moment où les intérêts et la clause indemnitaire peuvent être facturés, l’impact de cette exception par rapport à la période pendant laquelle une entreprise peut devoir attendre un paiement semble limité.

Enfin, la question se pose de savoir si l’objectif de la nouvelle loi (c’est-à-dire la protection des consommateurs financièrement vulnérables) est atteint simplement en accordant aux consommateurs plus de temps pour payer. La possibilité de retarder un paiement plus longtemps ne profite pas nécessairement à un consommateur financièrement vulnérable. Cela lui donne l’opportunité de reporter le problème et peut donner l’impression qu’il est encore possible de faire d’autres achats, ce qui ne fera qu’alourdir la montagne de dettes.

L’avenir dira si ces réserves sont justifiées ou non.

La loi entrant bientôt en vigueur, il est important que les entreprises vérifient la conformité de leurs conditions générales et de leur fonctionnement interne en cas de recouvrement de créances.

Si vous avez des questions à ce sujet ou si vous souhaitez obtenir des conseils, n’hésitez pas à contacter Studio Legale Advocaten au 03 216 70 70 ou à l’adresse [email protected].

[1] Ci-après: la nouvelle loi

[2] https://etaamb.openjustice.be/fr/loi-du-20-decembre-2002_n2002011523

[3] Tel que défini à l’article 1:24 paragraphe 1 du Code des sociétés et des associations

[4] Taux d’intérêt utilisé par la Banque centrale européenne pour les opérations principales de refinancement

[5] Livre VI du CDE comme indiqué précédemment, contient toujours une législation spécifique sur les clauses abusives dans les relations B2C

[6] Art. XIX 14 CDE et art. XIX 15 CDE

[7] Art. XV.125/2/1 CDE

[8] Art. XV.66/5 CDE

PDF

Dans cet article, nous abordons les conditions de seuil du droit d’auteur. Quelles conditions une création doit-elle remplir pour bénéficier du droit d’auteur ? Nous nous en référerons à trois arrêts récents de la Cour d’appel d’Anvers.

Introduction

Le droit d’auteur se caractérise par le fait qu’il protège les créations originales de l’esprit contre l’imitation par d’autres. Si vous voulez utiliser une œuvre protégée, vous devrez d’abord demander l’autorisation au titulaire du droit d’auteur.[1]  En principe, toute forme de création peut être protégée par le droit d’auteur à condition qu’un certain seuil soit atteint. Ce seuil se traduit par un certain nombre de conditions de  validité, notamment le fait qu’une œuvre doit être originale et concrète.

Le droit d’auteur naît automatiquement du simple fait de la réalisation/création de l’œuvre qui répond aux exigences de protection. Aucune formalité supplémentaire n’est requise, comme c’est le cas pour le droit des marques. Un droit d’auteur sur une création particulière ne peut être enregistré. Le droit d’auteur confère au créateur un monopole sur son œuvre jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur.[2]

Avec les autres droits de propriété intellectuelle (brevets, marques, dessins et modèles, etc.), le droit d’auteur constitue une exception au principe général de la liberté du commerce et de l’industrie. Les règles du marché prévoient que chacun est libre de se faire concurrence, ce que l’on appelle communément le principe de libre concurrence. Vous pouvez copier les produits d’un concurrent à condition de le faire de manière loyale. La seule exception est que vous ne pouvez pas copier quelque chose qui est protégé par des droits intellectuels.

Les droits intellectuels étant une dérogation à la libre concurrence, certaines limites ont été insérées. Toutes les créations ne seront pas protégées. Selon le type de droit de propriété intellectuelle, un certain seuil est placé et prend la forme d’un certain nombre de conditions de validité. Les conditions de validité dans le droit d’auteur peuvent être résumées comme suit :[3]

  • exigence d’originalité

L’œuvre doit être originale. Cela signifie que l’auteur a fait des choix libres et créatifs en créant son œuvre. Une création intellectuelle caractéristique de l’auteur, dans laquelle sa personnalité se reflète dans l’œuvre.[4]

  • exigence de mise en forme

Seule la forme concrète dans laquelle une idée est exprimée bénéficiera d’une protection. Les idées, les pensées et les points de vue en eux-mêmes ne peuvent être protégés.[5] La forme d’expression doit être suffisamment précise et objectivement identifiable.

La Cour d’appel d’Anvers le 6 janvier 2021[6]

L’objet du litige était l’imitation d’un carport. Un carport est un toit sous lequel une voiture est plus ou moins protégée des intempéries. Il se caractérise par une construction rectangulaire (carrée) composée de six supports parallèles reliés entre eux en hauteur. La construction d’un abri de voiture similaire par quelqu’un d’autre aurait enfreint les droits d’auteur. Le premier juge ainsi que le juge de la Cour d’appel d’Anvers ont rejeté la demande.

La construction de l’abri pour voiture ayant été motivée par des considérations techniques qui ne laissent aucune place à la liberté de création, il ne peut être prouvé que l’œuvre est originale. En d’autres termes, il ne reflète pas la personnalité de l’auteur, comme le prescrit l’exigence d’originalité. Ce point de vue est tout à fait conforme à la jurisprudence de la Cour de justice.[7]  Les droits intellectuels ne protègent pas ce qui est banal. Le carport ne peut être protégé par le droit d’auteur.

Ainsi, la Cour d’appel déclare :  » C’est à juste titre que l’intimé affirme que la description de l’œuvre donnée par les appelants est en soi trop vague et générale pour pouvoir bénéficier de la protection du droit d’auteur. En outre, l’œuvre ne présente pas l’originalité requise pour bénéficier de la protection du droit d’auteur. Une construction rectangulaire ou carrée composée de six points d’appui parallèles, reliés les uns aux autres en hauteur, est la construction « standard » d’un carport. Ceci est dû à des considérations techniques, compte tenu des dimensions des véhicules à stationner en dessous et de la stabilité et de la solidité requises de la structure. Une « construction carrée avec six supports parallèles reliés entre eux en hauteur » peut difficilement être considérée comme l’expression de la personnalité des appelants. »[8]

Cour d’appel d’Anvers 24 mars 2021[9]

Dans l’affaire précitée, une société aurait fait une offre de vente de reproductions des modèles ci-dessous réalisées par une autre société (HHA), ce qui, aurait entraîné une violation du droit d’auteur selon cette dernière.

Il est particulièrement intéressant de voir comment la Cour explique les conditions du seuil du droit d’auteur dans son arrêt.

« Une œuvre tire son caractère protégeable par le droit d’auteur de son originalité. La notion d' »originalité » a été définie par la Cour de justice dans ses arrêts de principe Infopaq[10] et Painer[11], puis confirmée et/ou développée, entre autres, dans les arrêts Cofemel[12] et Brompton[13]. Dans l’affaire Infopaq (point 37), l’exigence d' »originalité » du droit de l’Union a été précisée en indiquant que cette condition est remplie si l’œuvre est une « création intellectuelle propre à son auteur ». Une « création intellectuelle propre » peut être présumée si elle reflète « une expression de la personnalité de son auteur » (Painer point 88). Une telle « expression » peut être présumée « lorsque l’auteur, a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs  » (Painer point 89 et Cofemel, points 29-30). Dans son appréciation, le tribunal ne peut être guidé par les propriétés esthétiques d’une œuvre prétendument protégée par le droit d’auteur. La question n’est pas de savoir si un certain effet esthétique (artistique) est obtenu ou non grâce à des choix libres et créatifs. En outre, il faut s’abstraire du fait que ces choix libres et créatifs seraient évidents. Certaines « exigences d’inventivité dans le domaine de la création » sont étrangères aux conditions de la protection du droit d’auteur. »

Pour l’appréciation des conditions de seuil du droit d’auteur, il appartient à l’auteur de préciser les éléments qui, selon lui, déterminent le caractère original de l’œuvre (ce qu’on appelle la « charge de la preuve« ). La Cour a jugé que le tables d’appoint NIMBUS et le fauteuil CARGO devaient bénéficier de la protection du droit d’auteur, mais que HHA n’avait fourni aucun élément concret expliquant pourquoi le fauteuil S et la table d’appoint S constituaient une adaptation illégale du fauteuil CARGO et de la table d’appoint NIMBUS. Après tout, il n’y a pas eu de reprise des éléments prédominants considérés à l’origine dans l’image globale des œuvres protégées par le droit d’auteur.

Cour d’appel d’Anvers 18 novembre 2020[14]  

Cet arrêt souligne une fois de plus l’exigence d’originalité que doit posséder une œuvre pour pouvoir bénéficier de la protection du droit d’auteur. L’originalité présuppose que l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives en faisant des choix créatifs. Par conséquent, la Cour a évalué l’originalité en fonction du degré de créativité : plus l’originalité est mince, plus la similitude avec l’œuvre prétendument contrefaite doit être forte. Comme l’a souligné à juste titre GEIREGAT, S.[15] cette proposition semble provenir directement du droit des marques, où il est de jurisprudence constante que le public sera plus enclin à percevoir les similitudes entre deux signes dans le cas de marques « fortes » avec un haut degré de distinctivité, alors que dans le cas de marques « faibles » avec un degré de distinctivité limité, plus d’efforts seront nécessaires pour démontrer un risque de confusion.[16]

Une doctrine qui ne peut pas nécessairement être appliquée au droit d’auteur. Dès qu’une œuvre dépasse le seuil d’originalité, elle bénéficie de la même protection que toute autre œuvre. En d’autres termes, il n’y a pas d’œuvres « faibles » ou « fortes ».[17]

Dans ce contexte, la commercialisation de la lampe suspendue ci-dessous (lampe suspendue Columbo) en béton a été contestée car elle constituerait une violation du droit d’auteur sur la lampe suspendue « béton » de SA Serax.

                                                       

Figure 1 : Lampe suspendue « Columbo »                          Figure 2 : Lampe suspendue « Concrete ».

Selon la Cour, la lampe « Concrete » ne bénéficie que d’une protection limitée car il s’agit d’un produit d’utilité conçu dans un certain style « industriel » qui était déjà répandu au moment de la conception et certains éléments caractéristiques n’ont pas été copiés dans la lampe « Columbo » afin que le consommateur moyen ne se trompe pas.

En combinaison avec les nombreuses différences évidentes avec la lampe « Columbo », la Cour d’appel a confirmé le verdict a quo et la violation du droit d’auteur n’a pas été prouvée.

Conclusion   

Le droit d’auteur est une exception au principe selon lequel, on peut, en théorie, librement copier les œuvres d’autrui. Ainsi, seules les créations originales qui portent l’empreinte de la personnalité de l’auteur seront protégées par le droit d’auteur.

Si vous avez des questions après avoir lu cet article, n’hésitez pas à nous contacter via l’adresse email [email protected] ou par téléphone au 03 216 70 70.

Sources légales :

https://www.vlaanderen.be/auteursrecht

Article XI.166 Code de droit économique https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/loi_a1.pl?language=nl&la=N&cn=2013022819&table_name=wet&caller=list&N&fromtab=wet&tri=dd%20AS%20RANK&rech=1&numero=1&sql=(text%20contains%20(%27%27))

CJUE 7 août 2018, C-161/17, §14.

Cour d’appel d’Anvers du 6 janvier 2021, NjW 2021, afl. 451, 835, note GEIREGAT, S.

Cour d’appel d’Anvers du 24 mars 2021, RW 2021-22, no.13, 27 novembre 2021.

CJUE, 16 juillet 2009, n° C-5/08, ECLI:EU:C.2009:564

CJUE, 11 décembre 2011, n° C-145/10, ECLI:EU:C.2011:789

CJUE, 12 septembre 2019, n° C-683/17, ECLI:EU:C.2019:721

CJUE, 11 juin 2020, n° C-833/18, ECLI:EU:C.2020:461

Cour d’appel d’anvers du 18 novembre 2020, NjW 22 décembre 2021, afl. 453, 934-939, note GEIREGAT, S.

CJCE 11 novembre 1997, C-251/95, SABEL/Puma, §24

CJCE 29 septembre 1998, C-39/97, Canon/MGM, §19 et 24.

[1] https://www.vlaanderen.be/auteursrecht

[2] Voir l’article XI.166 du Code du droit économique.

[3] https://www.vlaanderen.be/auteursrecht

[4] Voir CJUE 7 août 2018, C-161/17, §14.

[5] https://www.vlaanderen.be/auteursrecht

[6] Voir l’arrêt de la Cour d’appel d’Anvers du 6 janvier 2021, NJW 2021, n° 451, 835, note GEIREGAT, S.

[7] Voir CJUE 1er mars 2012, C-604/10, §39.

[8] Voir l’arrêt de la Cour d’appel d’Anvers du 6 janvier 2021, NJW 2021, n° 451, 835, note GEIREGAT, S., p. 838. Traduction libre.

[9] Voir l’arrêt de la Cour d’appel d’Anvers du 24 mars 2021, RW 2021-22, n°13, 27 novembre 2021.

[10] CJUE, 16 juillet 2009, no C-5/08, ECLI:EU:C.2009:564

[11] CJUE, 11 décembre 2011, n° C-145/10, ECLI:EU:C.2011:789

[12] CJUE, 12 septembre 2019, n° C-683/17, ECLI:EU:C.2019:721

[13] CJUE, 11 juin 2020, No C-833/18, ECLI:EU:C.2020:461

[14] Cour d’appel d’Anvers 18 novembre 2020, NjW 22 décembre 2021, afl. 453, 934-939, note GEIREGAT, S.

[15] Cour d’appel d’Anvers 18 novembre 2020, NjW 22 décembre 2021, afl. 453, 938, note GEIREGAT, S.

[16] CJUE 11 novembre 1997, C-251/95, SABEL/Puma, §24 ; HvJ 29 septembre 1998, C-39/97, Canon/MGM, §19 en 24.

[17] Cour d’appel d’Anvers 18 novembre 2020, NjW 22 décembre 2021, afl. 453, 938, note GEIREGAT, S.

Hoofdwebsite Contact
rendez-vous upload






      GDPR proof area
      Téléchargez vos documents





      glissez vos documents jusqu’ici ou choisissez un fichier


      glissez vos documents jusqu’ici ou choisissez un fichier











        Benelux (€... )EU (€... )International (prix sur demande)

        En soumettant la demande, vous acceptez expressément nos conditions générales et confirmez que vous avez lu attentivement notre déclaration de confidentialité. L’envoi de cette demande fera office de confirmation de commande.
        error: Helaas, deze content is beschermd!