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Dans un monde où luxe et personnalisation vont de plus en plus de pair, il n’est pas surprenant que certains clients soient prêts à débourser des milliers d’euros pour une montre exclusive. La personnalisation d’un modèle standard par l’ajout de diamants ou de pierres précieuses — une technique connue sous le nom de « iced out » —est aujourd’hui très populaire.

À première vue, cela semble être une amélioration esthétique pour ceux qui trouvent la Rolex classique trop ordinaire. Mais ceux qui pensent que la beauté n’a pas de prix oublie les contraintes du droit des marques et du droit d’auteur.

C’est ce que ressort de l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Anvers le 17 avril 2024, dans lequel le juge a sévèrement sanctionné le modèle économique d’un bijoutier anversois qui s’est spécialisé dans cette pratique d’« iced out ». Le juge a accordé à Rolex des dommages et intérêts d’un montant de pas moins de 160.371,60 €.

Qu’est-ce que le «iced out» des montres?

L’« iced out » désigne la modification de montres existantes, généralement issues de marques de luxe telles que Rolex, en y ajoutant des diamants ou d’autres pierres précieuses.

Des éléments tels que le cadran sont remplacés ou modifiés, tandis que la marque d’origine reste visible.

Les montres ainsi modifiées sont ensuite remises en vente, souvent accompagnées de visuels promotionnels officiels de la marque.

Ce qui peut sembler, pour le consommateur, une amélioration esthétique unique, constitue pour le titulaire de la marque une atteinte sérieuse à son contrôle sur la qualité, le design et la réputation de ses produits.

Cette pratique est populaire dans le monde des bijoutiers haut de gamme et des influenceurs, mais elle comporte des risques juridiques importants.

L’«iced out »  touche en effet à deux formes essentielles de protection en droit de la propriété intellectuelle :

  • Droit des marques : l’utilisation du nom de la marque « Rolex » sur des produits modifiés, dans des publicités ou sur des sites web.
  • Droit d’auteur : la modification du design original du cadran ou l’utilisation de photos officielles du produit sans autorisation préalable.

Cour d’appel d’Anvers, 17 avril 2024 : T.L.W. contre Rolex

Le fabricant suisse des montres Rolex SA et sa filiale pour le Benelux ont intenté une action en justice contre la société anversoise T.L.W. SRL.

Cette dernière exploitait une bijouterie dans laquelle des montres Rolex originales étaient « iced » (c’est-à-dire serties de diamants), puis revendues sous l’appellation « Rolex ».

En outre, T.L.W. utilisait également des images originales de produits et de promotion rolex sur son site internet et ses réseaux sociaux.

Rolex a saisi la justice pour atteinte à ses droits d’auteur et à ses droits de marque.

Lors d’une procédure antérieure, un ordre de cessation avait déjà été prononcé par le tribunal de l’entreprise de Bruxelles (jugement du 7 juillet 2021), interdisant la vente et la promotion des montres modifiées sous peine d’astreinte.

L’arrêt du 17 avril 2024 portait sur l’indemnisation réclamée par Rolex pour les infractions constatées.

Décision de la cour

La Cour a confirmé les atteintes au droit des marques et au droit d’auteur. Le juge a estimé que les modifications apportées par la technique du « iced out »  portaient atteinte de manière fondamentale au design original et à l’image commerciale de la Rolex.

Étant donné que Rolex n’aurait jamais donné son autorisation pour de telles modifications, ni pour l’utilisation de matériel promotionnel ou de mentions de marque, aucune rémunération sous forme de licence classique ne pouvait être envisagée.

La Cour a donc évalué le montant des dommages et intérêts ex aequo et bono à 40 % du prix de vente de chaque montre modifiée, ce qui a conduit à un total de 160.371,60 euros.

L’élément clé : l’atteinte à la réputation

Ce que Rolex a démontré de manière convaincante, c’est que la pratique du « iced out » portait atteinte à sa réputation en tant que marque de qualité :

  • Les montres modifiées ne répondaient pas aux exigences internes de qualité de Rolex.
  • Le public avait des difficultés à distinguer s’il s’agissait de produits officiels de Rolex.
  • Les sertissages de pierres précieuses n’étaient pas réalisées par Rolex, mais reflétaient néanmoins l’image de marque de la société
  • Les montres Rolex sont conçues pour refléter un style haut de gamme spécifique, notamment à travers le design du cadran, ce qui constitue un intérêt commercial essentiel de la marque que la technique du « iced out » compromet.
  • Cela entraînait une confusion chez les consommateurs et risquait de nuire à la confiance dans la marque.

La Cour a souligné que cette atteinte à la réputation constituait, en soi, un fondement suffisant pour justifier une indemnisation équitable, même si Rolex n’était pas en mesure de prouver une perte de bénéfices concrète.

La protection de la marque s’étendait à la manière dont elle apparaît visuellement sur le marché et à la perception qu’en ont les consommateurs.

Un regard international sur l’ « iced out »

L’affaire anversoise ne constitue pas un cas isolé. Tant aux États-Unis qu’en Suisse, les juridictions ont récemment dû se prononcer sur les limites de la « customisation » de montres Rolex.

Dans l’affaire Rolex Watch USA, Inc. v. BeckerTime LLC devant la Cour d’appel de la cinquième circonscription, il s’agissait d’un vendeur américain qui modifiait des montres Rolex en y ajoutant des diamants aftermarket, des lunettes personnalisées et des bracelets non originaux. Ces montres étaient ensuite revendues sous l’appellation “Genuine Rolex”.

Selon le tribunal, il ne s’agissait pas d’une simple restauration, mais de modifications substantielles altérant la nature même du produit. Cela relevait de l’exception dite du misnomer, selon laquelle le produit ne pouvait légalement plus être qualifié de “Rolex”. Toutefois, Rolex n’a pas obtenu de restitution des bénéfices en raison de la prescription et de l’absence de mauvaise foi.

Dans une affaire portée devant la Cour fédérale suisse, une entreprise genevoise a été poursuivie pour avoir modifié des montres Rolex (notamment en réutilisant le nom de la marque Rolex sur des cadrans personnalisés). Le tribunal a établi une distinction importante entre la vente de montres modifiées sur le marché (qui constitue une atteinte aux droits de marque) et la personnalisation à la demande du propriétaire-client, considérée comme admissible sous certaines conditions. Seule cette dernière pratique a été jugée licite, à condition qu’aucune confusion ne soit créée quant à un lien avec la marque Rolex. Les avertissements clairs et une communication transparente jouent ici un rôle essentiel.

La jurisprudence belge suit la ligne américaine, en considérant que des modifications substantielles apportées à des produits originaux, tout en conservant l’utilisation de la marque, constituent une atteinte aux droits de marque.

Conclusion : l’« iced out », un terrain juridique miné

L’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Anvers constitue un avertissement clair à l’égard des commerçants qui modifient et revendent des produits originaux issus de marques de luxe. La pratique du « iced out » peut sembler attrayante sur le plan commercial, mais elle représente un véritable terrian miné en matière de droits de propriété intellectuelle.

Quiconque porte atteinte à la réputation et à l’image d’une marque telle que Rolex s’expose à une lourde sanction financière, même si le préjudice exact ne peut être prouvé mathématiquement.

Réflexion

Nous estimons qu’il pourrait exister une certaine marge de manœuvre juridique lorsque le consommateur est lui-même propriétaire de la montre et demande explicitement une personnalisation sur mesure, sans que le produit soit ensuite revendu ou présenté comme une montre Rolex officielle de la marque.

Tant qu’aucune confusion n’est créée quant à un lien avec la marque, une telle personnalisation serait, selon nous, moins susceptible d’être qualifiée d’atteinte aux droits de marque.


CA Anvers 17 avril 2024, NjW 2025, section. 521, 344.

https://abovethelaw.com/2024/03/the-rolex-ip-cases-prove-that-time-is-money/

https://www.ie-forum.be/artikelen/bewerken-van-horloges-resulteert-in-inbreuk-op-auteursrechten

https://www.thefashionlaw.com/as-the-right-to-repair-movement-gains-steam-what-

does-it-mean-for-luxury

https://www.jckonline.com/editorial-article/rolex-sues-la-californienne/

https://www.hodinkee.com/articles/swiss-high-court-rules-on-lawsuit-between-rolex-and-customizer-artisans-de-geneve

 

Dans cette contribution, nous abordons l’étendue de la protection du droit des marques et des noms commerciaux dans le contexte d’un arrêt[1] de la Cour d’appel d’Anvers. Une entreprise qui dépose une marque à caractère descriptif afin de s’approprier un terme générique court un grand risque se faire avoir.

Droit des marques

Le droit des marques peut être défini comme un droit de monopole temporaire du propriétaire d’une marque, non seulement pour l’utilisation exclusive de cette marque, mais également pour interdire[2] à d’autres de l’utiliser. Une marque est un signe qui peut prendre différentes formes telles que des mots, des slogans, des images, etc[3] que les entreprises utilisent pour se positionner sur le marché. Une enseigne permet aux consommateurs de distinguer les produits et services de différentes entreprises.

La simple utilisation d’une marque ne confère aucune protection à une entreprise. Ce n’est que lorsqu’une marque est enregistrée avec succès auprès de l’autorité compétente que le propriétaire d’une marque est en mesure de revendiquer tous les droits associés.[4]

En ce qui concerne les droits attachés à une marque, il faut se référer à l’article 2.20 de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (ci-après : CBPI).

Article 2.20 CBPI – Droits attachés à la marque

« 1. L’enregistrement d’une marque visé à l’article 2.2 confère à son titulaire un droit exclusif sur celle-ci.

2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité de la marque enregistrée, et sans préjudice de l’application éventuelle du droit commun en matière de responsabilité civile, le titulaire de ladite marque enregistrée est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage d’un signe lorsque :

 a. le signe est identique à la marque et est utilisé dans la vie des affaires pour des produits ou services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée« .

Afin d’établir une infraction à l’article 2.20(a) du CBPI, la preuve de la double identité doit être apportée. (1) Le signe contesté doit être identique à la marque invoquée par le titulaire, et (2) l’identité entre les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée doit être identique.

La Cour de justice souligne que, dans ce cas, il est permis aux juridictions de faire abstraction des différences si insignifiantes qui échappent à l’attention du consommateur moyen.[5]  Le signe « poetsbureau » étant clairement différent de la marque verbale « HET POETSBUREAU », la Cour d’appel a décidé qu’il n’y avait pas de violation de l’article 2.20.a) du CBPI.

S’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public entre le signe contesté et la marque pour des produits ou services identiques, le titulaire de la marque a la possibilité de faire valoir son droit de marque devant le tribunal sur la base de l’article 2.20 (b) du CBPI.

Article 2.20 CBPI – Droits attachés à la marque

« (…)

b. le signe est identique ou similaire à la marque et est utilisé dans la vie des affaires, pour des produits ou des services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, s’il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque « 

Selon le jugement, il n’y avait pas de risque de confusion puisque l’usage ordinaire du terme « poetsbureau » et la marque figurative « HET POETSBUREAU » – accompagnée d’une image – sont complètement différents et ne risquent donc pas de créer une confusion chez le consommateur. En outre, il n’y a pas de risque de confusion entre le terme « poetsbureau » et la marque verbale « HET POETSBUREAU » car le terme « poetsbureau » est un terme communément utilisé dans le langage des prestataires de services domestiques. Les deux parties sont actives dans le domaine de l’aide domestique et le terme « poetsbureau » est donc purement descriptif.[6]

Le nom commercial

Une marque ne doit pas être confondue avec un nom commercial.  Le nom commercial est un nom qu’une entreprise utilise dans le processus économique.  Il s’agit du nom sous lequel l’entreprise exerce ses activités. L’enregistrement d’un nom commercial auprès de la Banque-Carrefour des Entreprises n’est pas suffisant pour la protection du nom commercial. Le droit d’utiliser un nom commercial naît dès que ce nom est effectivement utilisé dans le commerce et se fonde sur l’article 8 de la Convention de Paris.[7]

Le nom commercial n’offre une protection contre l’utilisation d’un nom commercial plus récent identique ou similaire que s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du grand public dans la zone géographique où le nom commercial plus ancien est utilisé.

La Cour a jugé que le nom commercial « HET POETSBUREAU » est banal et n’induit pas en erreur le consommateur moyen. En outre, le nom commercial du concurrent en question est « Easylife » et n’est donc pas du tout identique au nom commercial « HET POETSBUREAU ». Le concurrent utilise uniquement le signe (générique) « poetsbureau » sur son site web et dans ses messages publicitaires. Le titulaire du nom commercial « HET POETSBUREAU » n’est pas autorisé à s’approprier à titre privé le terme « poetsbureau » en ajoutant l’article « Le »,ce qui signifie qu’il n’y a pas d’atteinte au nom commercial.[8]

Conclusion

L’arrêt de la Cour d’appel d’Anvers est un arrêt logique qui s’inscrit pleinement dans les principes fondamentaux du droit des marques selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Une leçon importante[9] à tirer de cet arrêt est le danger qui se cache derrière un enregistrement de marque à caractère descriptif. L’appropriation privée d’un terme générique comporte les risques et le danger que la protection de votre marque enregistrée devienne une coquille vide. Il faut donc toujours demander de l’aide à des spécialistes.

Si vous souhaitez enregistrer une marque, vous pouvez toujours faire appel à nos services. Nos avocats spécialisés vous assisteront tout au long du processus de protection des marques. Vous pourrez remplir le formulaire de contact sur notre site web « Studio|Trademark » via l’application « soumettre une demande », après quoi nous nous mettrons immédiatement au travail.

Si vous avez des questions après avoir lu cet article, n’hésitez pas à nous contacter via l’adresse email [email protected] ou par téléphone au 03 216 70 70.

Sources légales :

Arrêt de la Cour d’appel d’Anvers, n° 2019/AR/1757, 25 novembre 2020.

https://www.boip.int/system/files/document/2019-02/Benelux%20Verdrag%20inzake%20de%20Intellectuele%20Eigendom_01032019.pdf

CoJ 20 mars 2003, C-291/00, LTJ Diffusion, §53-54 ; CoJ 8 juillet 2010, C-558/08, Portakabin, §48.

https://economie.fgov.be/nl/themas/intellectuele-eigendom/intellectuele-eigendomsrechten/specifieke-beschermingsregimes/handelsnaam-en

[1] Arrêt de la Cour d’appel d’Anvers, n° 2019/AR/1757, 25 novembre 2020

[2] Voir l’article 2.20 du Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (CBPI)

[3] Voir l’article 2.1 CBPI

[4] Voir l’article 2.2 CBPI

[5] CJCE 20 mai 2003, C-291/00, LTJ Diffusion, §53-54 ; CJCE 8 juillet 2010, C-558/08, Portakabin, §48.

[6] Arrêt de la Cour d’appel d’Anvers, n° 2019/AR/1757, 25 novembre 2020

[7]https://economie.fgov.be/nl/themas/intellectuele-eigendom/intellectuele-eigendomsrechten/specifieke-beschermingsregimes/handelsnaam-en

[8] Arrêt de la Cour d’appel d’Anvers, n° 2019/AR/1757, 25 novembre 2020

[9] Anvers n° 2019/AR/1757, 25 novembre 2020, IRDI 2020, numéro 4, 326 ; NJW 2021, numéro 450, 773, note GEIREGAT, S.

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