Le registre UBO pourrait finalement ne pas être divulgué au public
19 mai 2023

Le registre UBO pourrait finalement ne pas être divulgué au public

Dans son arrêt du 22 novembre, la Cour de justice déclare que le registre UBO peut être maintenu, mais que sa divulgation au grand public prend fin. Cet arrêt fait suite à des questions préjudicielles posées par un tribunal luxembourgeois.

Qu’est-ce que le registre UBO ?

Le registre UBO est un registre des bénéficiaires effectifs en Belgique prévu par la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l'utilisation des espèces.

Cette loi est la transposition de la directive européenne 2015/849 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

En vertu de celle-ci, les États membres de l'UE sont tenus de prendre des mesures pour que, d'une part, les sociétés et autres entités juridiques constituées sur leur territoire juridique obtiennent et conservent des informations adéquates, exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs. D'autre part, il devrait y avoir un registre central d'informations sur les bénéficiaires effectifs de ces entités afin de faciliter l'accès à ces informations.[1]

Ce qui a changé avec l’arrêt

Dans l’arrêt du 22 novembre 2022, la disposition de la directive anti-blanchiment obligeant les Etats membres à veiller à ce que les informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés et autres entités juridiques constituées sur leur territoire soient dans tous les cas accessible au public, a été déclaré invalide.

La Cour de justice a déclaré que cela viole gravement le respect de la vie privée en vertu de l’article 7 et la protection des données à caractère personnel en vertu de l’article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Avec l’introduction de cette règle, le législateur a estimé qu’elle contribuerait à la réalisation d’un objectif d’intérêt général puisque la mesure vise à prévenir le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Toutefois, la Cour de Justice a jugé que la mesure n’était pas limitée au strict nécessaire. En outre, elle n’est pas proportionné à l’objectif poursuivi et n'offre pas de garanties suffisantes pour protéger les données à caractère personnel des personnes concernées[2].

En Belgique, jusqu'à récemment, les citoyens pouvaient consulter publiquement le registre UBO en introduisant préalablement une demande de consultation. Lors de cette demande, les citoyens devaient remplir un formulaire contenant le numéro BCE de l'entité soumise à consultation, les coordonnées du demandeur et une justification de la demande. Une demande pouvait alors être refusée si aucun motif légitime n'était invoqué pour consulter le registre[3].

Suite à l'arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne, le SPF Finances a publié un avis sur son site web indiquant que suite à l'arrêt du 22 novembre 2022, l'accès des membres du grand public aux informations sur les bénéficiaires effectifs a été temporairement suspendu. L'avis confirme également que l'accès pour les autorités compétentes et assujetties sera maintenu[4].

Entre-temps, un avis a été publié sur le site web du SPF Finances indiquant qu'en attendant les développements informatiques pour adapter le registre UBO aux nouvelles dispositions légales, les demandes de consultation peuvent être envoyées par courrier électronique à : [email protected].

La question de savoir si l'arrêt de la CJUE représente un grand pas en arrière en termes de lutte contre le blanchiment d'argent peut être nuancée car il n'affecte que l'accès du grand public aux données sur les bénéficiaires effectifs des sociétés. Pour toutes les autres structures juridiques, même avant cet arrêt, les données relatives aux bénéficiaires effectifs n'étaient accessibles qu'aux membres du grand public ayant un objectif légitime[5].

Ce qui est nouveau, c'est que l’arrêté royal UBO a inclus une liste de ce qui peut être considéré comme un objectif légitime[6].

RGDP

Dans cet arrêt, la troisième question préjudicielle posée était une question relative au respect des dispositions de la directive sur la protection des données. Puisqu'il a été décidé que la disposition exigeant que les registres soient accessibles au public était nulle, la CJCE n'a plus jugé nécessaire de répondre à la question relative au respect des dispositions de la directive sur la protection des données.

Étant donné que la Cour a déjà établi avant le test de la première question que la mesure n'est pas limitée à ce qui est strictement nécessaire, on peut soutenir qu'il ne s'agit pas d'un traitement licite de données à caractère personnel au sens de l'article 6 du RGPD.

Dans le passé, l’accès public au registre belge UBO a déjà été critiqué par l’Autorité de protection des données[7]. Dans l’avis n° 246 2022 du 9 novembre 2022, il était déjà noté que l’accès ou le refus d’accès au registre UBO devrait être soumis à des critères et conditions plus strictes. Jusqu'à présent, il n'était pas clair dans quels cas l'octroi de l'accès serait disproportionné par rapport aux droits fondamentaux du bénéficiaire effectif, en particulier le droit au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel.

Tout d'abord, pour répondre aux exigences en matière de protection des données, le législateur a inclus les quatre finalités différentes du registre UBO :

- Protéger le système financier par la prévention, la détection et l’enquête sur le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et des infractions sous-jacentes associées ;

- Faciliter l'application et le contrôle des obligations relatives aux embargos, aux gels des avoirs et autres mesures restrictives ;

- Assurer la transparence des entités juridiques et des constructions juridiques ;

- Le registre doit être un outil utile dans la lutte contre le blanchiment d’argent pour les acteurs et les entités qui y auront accès.

Deuxièmement, avec la loi du 8 février 2023, le législateur a inscrit dans la loi même les catégories de données à caractère personnel que le registre UBO traite. Il s’agit notamment :

  • Les données d’identification ;
  • Les données de contact et de résidence ;
  • La (les) catégorie(s) de bénéficiaire effectif à laquelle il appartient ;
  • La nature et l’étendue de l’intérêt économique ou de contrôle détenu par la personne physique dans les entités et constructions soumis au reporting ;
  • La date à laquelle la personne physique est devenue bénéficiaire effectif et, dans le cas d’un bénéficiaire effectif indirect, également les données d’identification des intermédiaires.

Conclusion 

 

Suite à l’arrêt, le grand public est désormais également tenu d’avoir un intérêt légitime pour consulter le registre UBO des sociétés. Cela était auparavant requis pour les bénéficiaires effectifs de toutes les autres structures juridiques.

Concrètement, dans l’attente des développements informatiques pour adapter le registre UBO aux nouvelles dispositions légales, le grand public peut désormais envoyer des demandes de consultation par email à : [email protected]. Il est important de mentionner l’intérêt légitime auquel vous faites appel.

Par ailleurs, le législateur a répondu aux exigences de protection des données en inscrivant dans la loi les différentes finalités du registre UBO d’une part, et d’autre part en inscrivant dans la loi les catégories de données à caractère personnel traitées par le registre UBO.

 

Sources juridiques utilisées :

  • Loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces, B., 6 octobre 2017 ;
  • Arrêté royal du 8 février 2023 modifiant l’arrêt royal du 30 juillet 2018 relatif aux modalités de fonctionnement du registre UBO ;
  • CJUE 22 novembre 2022, nr. C-37/20 , ECLI:EU:C:2022:912 ;
  • Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
  • Manuel d’utilisation du registre UBO Version « citoyen »

https://finances.belgium.be/sites/default/files/thesaurie/20220502_Manuel%20d%27utilisation_Grand%20Public_FR.pdf

  • Avis de l’Autorité de Protection des données nr. 246/2022 du 9 novembre 2022 ;
  • , DESMYTTERE, “Het UBO-register: verboden toegang voor onbevoegden?”, AFT 2023/1, 6-29

Sources médiatiques utilisées :

 

https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2022-11/cp220188fr.pdf

 

[1] Article 73-75 Loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l'utilisation des espèces, M.B., 2017.

[2] CJUE 22 novembre 2022, nr. C-37/20 , ECLI:EU:C:2022:912.

[3] Manuel d’utilisation du registre UBO Version « citoyen »

https://finances.belgium.be/sites/default/files/thesaurie/20220502_Manuel%20d%27utilisation_Grand%20Public_FR.pdf

[4] Actualités SPF Finances, https://financien.belgium.be/fr/E-services/ubo-register; F., DESMYTTERE, “Het UBO-register: verboden toegang voor onbevoegden?”, AFT 2023/1, 6-29.

[5] R., GOOSSENS, “Een presentje voor de oliarchen”,  https://www.standaard.be/cnt/dmf20221202_98057145 , F., DESMYTTERE, “Het UBO-register: verboden toegang voor onbevoegden?”, AFT 2023/1, 28. (avec la nuance pour les bénéficiaires éventuels des ASBL (internationale) et fondations) ; P., VAN MALDEGEM, “UBO-register raadpleegbaar door grote publiek onder voorwaarden”, https://www.tijd.be/netto/analyse/belastingen/ubo-register-raadpleegbaar-door-grote-publiek-onder-voorwaarden/10449524.html.

[6] Art. 10, §3 AR. UBO

[7] Avis nr. 246/2022 du  9 novembre 2022, considérant 35-44.