Un conflit d’intérêts pour un administrateur d’une entreprise survient plus rapidement qu’on ne le pense. Plusieurs situations sont possibles. Par exemple, lorsque l’administrateur est également administrateur d’une autre société avec laquelle il souhaite conclure un contrat. Ou lorsque l’administrateur veut conclure un contrat avec lui-même en tant que personne physique.
Le législateur a élaboré une réglementation afin qu’un administrateur ne puisse pas laisser ses propres intérêts primer sur les intérêts qu’il doit représenter en tant qu’administrateur d’une société.
Concrètement, le problème se pose lorsque l’organe de direction d’une société doit prendre une décision ou statuer sur une opération relevant de sa compétence et qu’il s’avère qu’un ou tous les administrateurs ont un intérêt qui entre en conflit avec lui. Dans cet article, nous expliquons comment il convient d’aborder juridiquement ces conflits d’intérêts, société par société.
1. Conflits d’intérêt : notion
Il ressort des dispositions pertinentes du code des sociétés et des associations (“Wetboek van Vennootschappen en Verenigingen”, ci-après “WVV”) qu’il y a conflit d’intérêts lorsqu’un administrateur ou un organe de direction a un intérêt direct ou indirect de nature patrimoniale qui entre en conflit avec l’intérêt de la société.[1]
L’exigence de « patrimonial » implique qu’un avantage matériel soit obtenu ou qu’un désavantage matériel soit évité. Un intérêt patrimonial potentiel est suffisant. Il n’est pas nécessaire d’établir qu’en prenant la décision, l’administrateur en conflit obtient un avantage matériel ou évite un préjudice matériel, mais si la possibilité existe que ce soit le cas, il s’agit d’un intérêt patrimonial tombant sous le coup de la réglementation sur les conflits d’intérêts.
Un exemple de conflit d’intérêts est celui d’un administrateur qui souhaite vendre un bien immobilier à son entreprise. En tant que vendeur privé, il essaiera de demander le prix le plus élevé possible ; en tant qu’administrateur-acheteur, il devrait s’efforcer d’obtenir le prix le plus bas possible dans l’intérêt de la société[2].
2. Obligation de déclaration et interdiction de participation
La SRL et la SCS peuvent être gérées par un ou plusieurs administrateurs qui peuvent ou non former un collège[3]. Si l’organe de direction ne forme pas un collège, chaque administrateur est individuellement autorisé à gérer et à représenter la société[4].
Lorsqu’un conflit d’intérêts survient dans une SRL ou une SCS et qu’il y a plusieurs administrateurs qui sont chacun individuellement habilités à gérer et à représenter la société, l’administrateur en conflit doit en informer les autres administrateurs. Ceux-ci prendront alors la décision ou effectueront l’opération. L’administrateur concerné ne peut pas participer à la délibération ni au vote des autres administrateurs à cet égard[5].
Si les statuts d’une SRL ou d’une SCS stipulent que le conseil d’administration est un organe collégial, la décision est prise ou l’opération effectuée par l’organe de gestion. Dans le cadre d’une prise de décision collégiale, la majorité des administrateurs doit se réunir ou être représentée pour décider à la majorité simple des voix[6]. Par conséquent, l’administrateur en conflit d’intérêts ne peut pas participer aux délibérations ou au vote[7]. Si, dans une SA, un membre du conseil d’administration se trouve en conflit d’intérêt dans une décision ou une opération relevant de la compétence du conseil, l’administrateur concerné doit en informer les autres administrateurs avant que le conseil d’administration ne prenne une décision. Le conseil ne peut pas déléguer cette décision[8]. Comme, par exemple, à la gestion journalière. Comme dans les SRL et SCS, l’administrateur en conflit ne peut pas participer aux délibérations ni au vote[9].
Dans le cas d’un double conseil d’administration dans une SA, l’administrateur en conflit d’intérêts au sein du conseil de surveillance doit également le signaler avant que le conseil ne prenne une décision. Il ne peut pas non plus déléguer cette décision[10]. Là encore, l’administrateur concerné ne peut participer à la délibération ou au vote de l’autre administrateur sur cette décision ou opération[11].
Si le conseil de direction doit prendre une décision ou décider d’une opération relevant de sa compétence et qu’un conflit d’intérêts survient, le conseil de direction renvoie cette décision au conseil de surveillance. Le conseil agit alors comme indiqué ci-dessus[12].
3. Intervention de l’Assemblée générale
Lorsque tous les administrateurs sont en situation de conflit d’intérêts, le pouvoir de prendre la décision ou d’effectuer l’opération est transféré à l’assemblée générale. Si celle-ci approuve la décision ou l’opération, l’organe d’administration peut encore l’exécuter. Ce règlement s’applique aux administrateurs des SRL et SCS, au conseil d’administration des SA à conseil d’administration moniste et au conseil de surveillance des SA à conseil d’administration dualiste[13].
4. Administrateur unique
Cette soumission à l’AG se produit également lorsqu’il n’y a qu’un seul administrateur dans la SRL, SCS ou SA[14]. En effet, il n’y a pas d’autres administrateurs qui peuvent prendre la décision ou effectuer l’opération. Dans la SA, l’assemblée générale peut approuver la décision ou l’opération, ce qui permet à l’administrateur unique de l’exécuter.[15] Si l’administrateur unique est également l’actionnaire unique, il peut lui-même prendre la décision ou effectuer l’opération.[16] Cela n’est possible que pour les SRL et les SA car pour la SCS, la CSA exige au moins trois fondateurs.[17]
Si l’administrateur unique de la SA est une SA dotée d’un organe collégial de gestion, les règles relatives au conseil d’administration dans le cas d’un conseil moniste, ou au conseil de direction dans le cas d’un conseil dualiste, s’appliquent. Si tous les membres de l’organe de direction de l’administrateur unique qui doit statuer sur le conflit d’intérêts ont un intérêt opposé, la décision ou l’opération est soumise à l’assemblée générale. Si l’assemblée générale de la société gestionnaire approuve la décision ou l’opération, l’organe d’administration ou, dans le cas d’une gestion dualiste, le conseil de direction, peut la mettre en œuvre.[18]
5. Exceptions
Il existe deux exceptions pour lesquelles la procédure ci-dessus ne doit pas être appliquée : lorsqu’il existe des liens étroits ou lorsque les opérations sont conformes avec le marché.
La première exception consiste à ne pas appliquer la règle du conflit d’intérêts lorsque les décisions ou les opérations sont intervenues entre des entreprises étroitement liées. C’est-à-dire lorsqu’une société détient directement ou indirectement au moins 95 % des voix attachées à l’ensemble des titres émis par l’autre société. Ou des sociétés dont au moins 95% des voix attachées à l’ensemble des titres émis par chacune d’elles sont détenus par une autre société.[19]
Ce motif d’exception ne s’applique pas lorsque l’administrateur unique de la SRL ou de la SA est également l’actionnaire unique.[20] En effet, il n’y a personne dont il puisse nuire aux intérêts.
Le deuxième motif d’exception est que les décisions de l’organe d’administration portent sur des opérations habituelles conclues dans des conditions et sous les garanties normales du marché pour des opérations de même nature. Dans ce cas, la règle du conflit d’intérêts ne doit pas non plus être appliquée.[21]
6. Le représentant permanent
L’article 2:55 du code des sociétés et des associations consacre désormais aussi légalement le point de vue majoritaire de la jurisprudence. Les règles relatives aux conflits d’intérêts applicables aux dirigeants et aux membres de l’organe de direction s’appliquent, le cas échéant, au représentant permanent.[22]
7. Publicité
L’administrateur en conflit doit faire une déclaration expliquant la nature du conflit d’intérêts. Cette déclaration est consignée dans le procès-verbal de la réunion des autres administrateurs, du conseil d’administration dans une SA moniste ou du conseil de surveillance dans une SA dualiste.[23] L’administrateur unique d’une SA n’a pas cette obligation.
Les autres administrateurs ou l’assemblée générale décrivent dans le procès-verbal la nature de la décision ou de l’opération pour laquelle le conflit existe et ses conséquences patrimoniales pour la société. Ils justifient également la décision prise.[24] Si, dans la SRL ou la SA, l’administrateur unique est également l’actionnaire unique, il doit également inclure dans son rapport spécial les contrats conclus entre lui et la société.[25] Cette partie du procès-verbal ou de ce rapport doit être reprise intégralement dans le rapport annuel ou dans un document déposé avec les comptes annuels.[26] Si la société a désigné un commissaire aux comptes, le procès-verbal de la réunion ou le rapport lui est communiqué.[27]
8. Nullité
La procédure relative aux conflits d’intérêts du CSA prévoit explicitement la possibilité supplémentaire pour la société de réclamer la nullité des décisions ou des opérations accomplies en violation de celle-ci si l’autre partie à ces décisions ou opérations en avait connaissance ou aurait dû en avoir connaissance.[28]
9. Conclusion
Après plus de deux décennies d’absence, l’interdiction de participer aux délibérations a été rétablie. L’administrateur en conflit d’intérêts doit toujours le signaler aux autres administrateurs avant que l’organe de direction ne prenne une décision. Le conseil de direction dans un conseil d’administration dualiste d’une SA renvoie cette décision au conseil de surveillance si nécessaire.
Si l’ensemble du conseil d’administration ou l’administrateur unique se trouve en situation de conflit d’intérêts, le CSA prévoit un transfert de pouvoir vers l’assemblée générale. Si celle-ci donne son accord, l’organe de direction peut toujours mettre en œuvre la décision ou l’opération. Si l’administrateur unique est également l’actionnaire unique, il peut bien entendu prendre lui-même la décision.
Une situation que le législateur n’a pas prise en compte en 2019 est celle qui devrait se produire si plusieurs membres du conseil d’administration, mais pas tous, se trouvent en conflit d’intérêts. Il est possible que, de ce fait, l’organe de direction n’atteigne pas le quorum requis pour délibérer et décider.[29] Un transfert de pouvoir à l’assemblée générale n’est possible que si tous les membres du conseil d’administration sont en situation de conflit d’intérêts. Il n’existe pour l’instant aucune réglementation légale à ce sujet.
Une suggestion de la doctrine juridique est de prévoir une disposition statutaire à ce sujet.[30] Vous pouvez par exemple prévoir dans les statuts de votre société des règles de présence différentes et éventuellement des règles de majorité pour les délibérations.
Une autre option consiste à transférer l’autorité vers l’assemblée générale elle-même. Ou la désignation temporaire d’un mandataire pour atteindre le nombre requis de participants aux délibérations et au vote.
Il existe donc plusieurs possibilités de mettre en place votre propre procédure.
Nous nous ferons un plaisir de vous aider à élaborer un schéma adapté à votre entreprise, ainsi qu’à répondre à toute autre question ou préoccupation concernant le fonctionnement de votre conseil d’administration.
Vous pouvez nous contacter par e-mail à [email protected] ou par téléphone : 03/216.70.70.
Sources
Législation
Code des sociétés, M.B., 6 août 1999
Code des sociétés et associations, M.B., 4 avril 2019
Doctrine
BRAECKMANS, H. et HOUBEN, R., Handboek vennootschapsrecht, Anvers, Intersentia, 2020, 975 p.
ERNST, P., « Belangenconflicten revisited, 25 jaar later. De nieuwe regels in het WVV over belangenconflicten van bestuurders in de niet-genoteerde NV en BV en hun ruimere impact » in HOUBEN, R., GOOSSENS, N. et LEUNEN, C. (eds.), JPB. Liber amicorum Jean-Pierre Blumberg, Anvers, Intersentia, 2021, 177-212.
[1] Art. 5:76, §1, lid 1; 6:64, §1, lid 1; 7:96, §1, lid 1; 7:102, §1, lid 1; 7:115, §1, lid 1, 7:117, §1 WVV.
[2] H. BRAECKMANS en R. HOUBEN, Handboek vennootschapsrecht, Anvers, Intersentia, 2020, 278. (ci-après: H. BRAECKMANS en R. HOUBEN, Handboek vennootschapsrecht)
[3] Art. 5:70 §1er alinéa 1 et 6:58 §1er alinéa 1 CSA
[4] H. BRAECKMANS et R. HOUBEN, Handboek vennootschapsrecht, 82, nr. 136.
[5] Art. 5:76 §1er alinéa 1 et 6:64 §1er alinéa 1 CSA
[6] H. BRAECKMANS et R. HOUBEN, Handboek vennootschapsrecht, 82, nr. 136.
[7] Art. 5:76, §2 et 6:64, §2 CSA
[8] Art. 7:96, §1, alinéa 4 CSA.
[9] Art. 7:96, §1, alinéa 4 CSA
[10] Art. 7:115, §1, alinéa 1 CSA
[11] Art. 7:115, §1, alinéa 4 CSA
[12] Art. 7:117, §1 CSA
[13] Art. 5:76, §1, alinéa 2; 6:64, §1, alinéa 2; 7:96, §1, alinéa 4 CSA et 7:115, §1, alinéa 4 CSA.
[14] Art. 5:76, §3; 6:64, §3 et 7:102, §1, alinéa 1 CSA.
[15] Art. 7:102, §1, alinéa 1 CSA
[16] Art. 5:76, §4 et 7:102, §1, alinéa 3 CSA
[17] Art. 6:3 CSA
[18] Art. 7:102, §1, alinéa 2 CSA.
[19] Art. 5:76, §5, alinéa 1; 6:64, §4, alinéa 1; 7:96, §3, alinéa 1; 7:102, §2, alinéa 1 et 7:115, §3, alinéa 1 CSA.
[20] Art 5:76, §5, alinéa 1 et 7:102, §2, alinéa 1 CSA
[21] Art 5:76, §5, alinéa 2; 6:64, §4, alinéa 2; 7:96, §3, alinéa 2; 7:102, §2, alinéa 2 et 7:115, §3, alinéa 2 CSA
[22] Art. 2:55 alinéa 1 CSA
[23] Art. 5:76 § 1 alinéa 1; 6:64 §1 alinéa 1, 7:96 §1 alinéa 1 et 7:115 §1er alinéa 1 CSA
[24] Art. 5:77 §1er alinéa 1; 6:65, §1, alinéa 1; 7:96, §1, alinéa 2; 7:103, §1, alinéa 1 et 7:115, §1, alinéa 2 CSA
[25] Art. 5:77, §1,alinéa 1 et 7:103, §1, aliné 1 CSA
[26] Art. 5:77, §1, alinéa 2; 6:65, §1, alinéa 2; 7:96, §1, alinéa 2; 7:103, §1, alinéa 2 et 7:115, §1, alinéa 2 CSA.
[27]Art. 5:77, §1, alinéa 3; 6:65, §1, alinéa 3; 7:96, §1, alinéa 3; 7:103, §1, alinéa 3 et 7:115, §1, alinéa 3 CSA.
[28] Art. 5:77, §2; 6:65, §2; 7:96, §2; 7:103, §2 et 7:115, §2 CSA
[29] P. ERNST, « Belangenconflicten revisited », 202.
[30] H. BRAECKMANS en R. HOUBEN, Handboek vennootschapsrecht, 285; P. ERNST, « Belangenconflicten revisited », 203.